En Afrique, l’homophobie instrumentalisée pour «mettre en scène le défi vis-à-vis de l’Occident»

Mercredi 19 juillet, la Namibie a voté une loi interdisant les mariages des personnes de même sexe. Depuis vingt ans, certains leaders du continent ont fait de la criminalisation de l’homosexualité un fonds de commerce politique.

Le chaud et le froid. Le 16 mai, la Cour suprême de Namibie, au terme d’une longue bataille judiciaire, reconnaissait les mariages entre personnes de même sexe – conclus à l’étranger, l’homosexualité étant toujours illégale dans le pays. Cette décision, saluée par les défenseurs de la communauté LGBTQI +, a évidemment hérissé les conservateurs.

Leur réaction ne s’est pas fait attendre. Deux mois plus tard, marche arrière toute. Mercredi 19 juillet, la chambre haute du Parlement namibien, contrôlée par le parti au pouvoir, a voté une loi interdisant les unions homosexuelles et sanctionnant leur «célébration, participation ou promotion» d’une peine pouvant aller jusqu’à six ans de prison. «Une petite victoire, suivie d’un très gros revers», résume Larissa Kojoué, du programme LGBT de Human Rights Watch.

Une nouvelle fois en Afrique, les droits des minorités sexuelles ont fait les frais d’une campagne politique. Sur le continent, seul un pays, l’Afrique du Sud, autorise depuis 2006 (sept ans avant la France) le mariage entre personnes de même sexe. Beaucoup plus grave, 32 Etats sur 54 criminalisent encore l’homosexualité. Au printemps, l’Ouganda avait essuyé une salve de critiques internationales en renforçant son arsenal répressif en la matière : le 29 mai, le président Yoweri Museveni a promulgué une loi prévoyant de lourdes peines pour les relations homosexuelles – allant jusqu’à la peine capitale, même si elle n’est plus appliquée – et la «promotion» de l’homosexualité – jusqu’à vingt ans de prison.

Cheval de bataille

Sur la scène africaine, le sujet a commencé à émerger en tant qu’enjeu politique dans les années 90, quand «les présidents Mugabe au Zimbabwe et Nujoma en Namibie ont lancé leurs attaques contre l’homosexualité vue comme une dépravation importée de l’Occident», décrivait un article de la revue Raisons politiques, «Une Afrique homophobe ?»,paru en 2013, alors qu’une vague de persécutions antigays balayait le continent.

Ces vingt dernières années, du Sénégal au Cameroun en passant par l’Ouganda ou le Nigeria, la question de l’orientation sexuelle est devenu le cheval de bataille privilégié des leaders populistes bataillant contre les «valeurs occidentales». Il est enfourché par les dirigeants comme par les opposants, chrétiens ou musulmans. «Les néopanafricanistes, qui affirment vouloir se libérer du joug colonial, ne remettent en question ni la langue (française, anglaise ou portugaise), ni la religion (héritée de la colonisation), ni l’habillement, ni la technologie occidentale, s’amuse Charles Gueboguo, professeur de littérature à la Washington International School. Etrangement, seule l’homosexualité – qui a pourtant toujours existé sous certaines formes en Afrique – vaut à leurs yeux d’être combattue. Tout simplement car les minorités sexuelles sont des boucs émissaires bien commodes.»

Paradoxalement, les lois criminalisant l’homosexualité, censées défendre les «valeurs africaines», sont le plus souvent héritées de la colonisation, souligne le chercheur camerounais. «Au moment des indépendances, les nouveaux Etats africains ont copié à la hâte le corpus législatif de leurs anciennes puissances coloniales, rappelle-t-il. Les textes coloniaux prohibant la sodomie par exemple, ont été conservés, mais ils étaient tombés en désuétude, et jamais appliqués. Ils n’ont été réactivés qu’après les années 2000, souvent à l’approche des élections, par des hommes politiques soucieux de mettre en scène leur attitude de défi vis-à-vis de l’Occident.» Le premier d’entre eux, Robert Mugabe, a ainsi «mobilisé cette rhétorique anti-homosexuelle, anti-Occidentale» à l’époque de l’expropriation des fermiers blancs du Zimbabwe, dans les années 90.

Cheval de bataille

Le discours homophobe, qui touche au domaine de l’intime, agite «le spectre de l’atteinte à la cellule familiale» et joue sur la fibre religieuse, fait mouche. «Il ne s’agit pas d’un mouvement populaire dont s’emparent les leaders politiques, mais, bien au contraire, d’un phénomène inspiré par les politiciens et les propagandistes qui se répercute dans la société», décrit Charles Gueboguo. «Les gens ne sont pas dupes, ils devinent le jeu des politiciens, nuance Larissa Kojoué. Mais pour un individu sans ressource, écrasé entre une société précaire et un système autoritaire, il ne reste souvent que les valeurs traditionnelles à défendre. Les hommes politiques ne créent pas l’homophobie, ils la tordent et l’amplifient à leur profit.»

Les gesticulations politiques des dirigeants se transforment parfois en campagnes de haine bien réelles. L’Afrique du Sud, qui dispose pourtant de la législation la plus protectrice du continent, a ainsi vu depuis quinze ans se multiplier les viols «correctifs» de lesbiennes, parfois collectifs. Les bastonnades et les arrestations d’homosexuels par la police ont été documentées ces dernières années au Cameroun, en Egypte, au Nigeria, en Ouganda, au Rwanda, au Ghana…

Ces pays sont souvent ceux qui disposent d’une scène militante active et très visible dans la défense des communautés LGBT +. Leurs membres combattent courageusement les persécutions et les discriminations dont sont victimes les homosexuels ou les transgenres. Mais ce militantisme, souvent calqué sur celui des pays du Nord, sert de chiffon rouge aux conservateurs. «La vie d’un homosexuel aux Etats-Unis ou aux PaysBas ne ressemble pas du tout à celle d’un homosexuel en Tanzanie ou en Namibie, rappelle Larissa Kojoué, de Human Rights Watch. A partir de là, les stratégies militantes ne sont pas réplicables. Les associations locales ont déjà commencé à réfléchir pour sortir de ce piège. Je suis convaincue que dans cinq ou dix ans, on y arrivera.»«On a utilisé des concepts occidentaux qui ne sont pas adaptés à nos réalités. La communauté LGBTQI +, par exemple, n’a aucun sens ici. Le mot gay a une histoire politique, qui n’est pas celle de l’Afrique. Il existe pourtant des termes qui renvoient à des réalités locales, comme le néologisme nkouandengué au Cameroun, explique Charles Gueboguo. Il est important de décoloniser les mouvements de lutte.» A la fois pour s’enraciner dans les sociétés africaines et pour couper l’herbe sous le pied aux leaders populistes qui ont fait de l’anti-impérialisme leur fonds de commerce politique.

Conflit de civilisation

De la même façon, les remontrances diplomatiques des Etats occidentaux s’avèrent souvent «contre-productives», remarque le chercheur. Elles accréditent l’idée d’un conflit de civilisation entre le Nord et le Sud. «Quand l’Occident intervient en donneur de leçon, en moralisateur, il se tire une balle dans le pied car il agace les populations et sert ses opposants.» Larissa Kojoué abonde : «La manière dont les pays occidentaux traitent de la question des droits LGBTQI + sur le plan international doit être revue. Ce n’est pas la priorité de beaucoup de pays d’Afrique et il faut l’entendre. En insistant sur ces questions plutôt que sur des accords économiques ou autres projets structurels qui pourraient modifier en profondeur la vie de tous, y compris des personnes LGBT, ils se mettent à dos tout un continent.»

Au risque de renforcer le narratif développé par des pays comme la Russie ou la Chine, qui relativisent la portée des «valeurs» (défense des droits humains et des minorités, liberté d’expression, démocratie) présentées comme universelles par les Occidentaux. «Les communautés homosexuelles sont les premières victimes de cette lutte, indique l’experte. Ça ne fait pas de l’Afrique un continent homophobe pour autant. C’est un cliché infondé.»

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